En Alsace, de quelle langue régionale parle-t-on ?

La récente loi Molac sur les langues régionales a été saluée comme une avancée majeure, notamment parce qu’elle soutient l’enseignement immersif qui pourrait être développé dans les écoles. Mais en alsacien ou en allemand ?

En Alsace, seules les écoles du réseau ABCM Zweisprachigkeit proposent de l’enseignement immersif en langue régionale.  Photo L’Alsace /Thierry GACHON

 

La récente loi Molac sur les langues régionales a été saluée comme une avancée majeure par tous les promoteurs du bilinguisme ( notre édition du 9 avril ). D’autant, fait remarquer Yves Rudio, enseignant en allemand et membre du SE-Unsa 67, que la précédente loi Deixonne sur le sujet, il y a 70 ans, « n’a jamais concerné l’Alsace ». Quant à ce qu’il faut réellement en attendre, Pascale Erhart, sociolinguiste et directrice du département de dialectologie alsacienne et mosellane à l’Université de Strasbourg, est dubitative. « Le cadre national permet déjà un enseignement bilingue français-langue régionale. Le seul changement est la possibilité d’étendre le système immersif aux écoles publiques. »

De quoi conforter la pédagogie de l’association ABCM Zweisprachigkeit, un temps remise en cause par le rectorat en 2017 (lire ci-dessous), et lui assurer de toucher un « forfait scolaire » de la part des communes dont elle accueille les enfants. Dans l’attente des décrets d’application, Yves Rudio s’interroge aussi sur le fait que « pour certains députés alsaciens, l’immersion pourrait être seulement partielle »…

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Langue allemande et variantes dialectales

Mais plus largement, poursuit Pascale Erhart, la question est de savoir de quelle langue régionale on parle. « Il y a une ambiguïté. Dans l’acception courante c’est l’alsacien, sauf qu’il n’apparaît dans aucun texte réglementaire et qu’il n’a jamais vraiment eu sa place à l’école. En Alsace, il y a une double hégémonie des langues standards, du français et de l’allemand. » Ainsi, selon la convention cadre 2015-2030, portant sur la politique régionale plurilingue, signée par l’État et les collectivités locales, par langue régionale « il faut entendre la langue allemande dans sa forme standard et dans ses variantes dialectales (alémanique et francique) ».

Une définition qui remonte aux circulaires du recteur d’académie Pierre Deyon en 1982 et 1985. « Lorsque le ministre Alain Savary a ouvert les écoles aux langues et cultures régionales, l’Alsace était la seule région à déjà proposer un enseignement de langue vivante en primaire. Le recteur Deyon en a profité pour faire entrer dans le cadre ce qui était exceptionnel », précise l’universitaire. « Il a eu le mérite de définir pour la première fois la langue régionale dans les textes officiels », retrace Yves Rudio. « Cela a permis de développer cet enseignement, mais en enterrant momentanément les dialectes, c’est le premier raté. Le deuxième, c’est qu’il n’a jamais été convaincu par l’enseignement immersif. »

L’alsacien, à l’oral ou à l’écrit ?

L’ancien inspecteur d’allemand Daniel Morgen ne l’a pas été davantage. « Il est important de préserver l’apprentissage de la lecture en français, tous les enfants n’ont pas d’aide à la maison », estime-t-il. Alors qu’il était responsable de la Mission académique des langues régionales auprès du recteur Jean-Paul de Gaudemar, il s’est, en revanche, consacré au développement de l’enseignement bilingue français-allemand à partir de 1992. Initié par ABCM un an plus tôt, alors que le principe existait déjà ailleurs en France, il concerne aujourd’hui près d’un écolier alsacien sur cinq.

Pour ce qui est de l’alsacien, « l’hypothèse de son enseignement dans les classes bilingues est évoquée dans les circulaires de 91-94 », souligne-t-il. « Peut-être n’avons-nous pas été assez volontaristes, mais le contexte était très houleux. Il y avait un mot d’ordre syndical contre le bilinguisme, nous étions minoritaires ». Les écoles qui avaient été sondées avaient majoritairement fait le choix de l’allemand, se souvient-il, « frappé de constater » que « les enseignants n’osaient pas se lancer en alsacien. On peut le comprendre, il n’y a pas de standard, c’est essentiellement de l’oral ».

« Ce complexe qu’on porte en nous »

Une question de fond qui se pose toujours. Ainsi Bénédicte Keck, chargée de mission à l’Olca (Office pour la langue et les cultures d’Alsace et de Moselle), est « persuadée qu’on peut écrire l’alsacien avec différentes variantes, du moment que c’est lisible et cohérent, les enfants s’adaptent ». Comme d’autres, elle en revient à « ce complexe qu’on porte en nous, l’alsacien n’ayant pas du tout été valorisé pendant des décennies ».

« On en arrive à une situation où les enfants apprennent l’allemand comme une langue étrangère, parce que le lien avec le dialecte n’a jamais été explicité à des fins pédagogiques. Et cela n’a pas contribué à sauver l’alsacien. Idéalement, il faudrait que les deux fonctionnent ensemble. » En cela, les promoteurs du bilinguisme s’accordent, « le cadre existe, il reste à en faire quelque chose », comme le résume Bénédicte Keck, tant du côté des collectivités locales que des enseignants, auxquels il faudrait proposer des outils pédagogiques et des formations.

Sources : https://c.dna.fr/education/2021/04/17/en-alsace-de-quelle-langue-regionale-parle-t-on